Derry Girls, de Lisa McGee (2018)


 Derry Girls, de Lisa McGee (2018)



Derry Girls offre une représentation de la vie quotidienne de Derry, la ville la plus touchée par la violence pendant les "Troubles". Drôle de titre pour une série sur les "Troubles", tant il fait signe vers ce qui semble une porosité entre espace géographique et identité, posant ainsi la question de qui nous est montré à l'écran. Qui sont ces filles de Derry, ville qui s'appelle également Londonderry ? : Derry pour les Catholiques, Londonderry pour les Protestants. 


Comme le titre l'indique, les filles sont catholiques. Elles s'appellent Erin, Clare, Michelle et Orla. Le cousin de Michelle lui, est anglais. Il s'appelle James et son accent ne passe pas inaperçu dans la petite ville de Derry. Le lycée catholique pour filles fréquenté par nos quatre protagonistes, Our Lady Immaculate, fait l'exception d'accueillir James, un garçon, qui de plus est anglais. Cette double exception, James en fait les frais. Moqué et ridiculisé pour son accent ou sa coupe de cheveux jugée trop féminine, il est le bouc-émissaire néanmoins très adoré des Irlandais. Sister Michael est une religieuse et elle dirige l'établissement avec une main de fer. Avec beaucoup d'humour et d'ironie, ce personnage transgresse les codes de ce que serait une femme d'église :  dans les premiers épisodes, elle nous confesse être entrée dans les ordres pour échapper au prix exorbitant des logements en Irlande, certes une allusion au contexte économique mais surtout un moyen de tourner la religion en dérision.



Le langage qu'elle emploie se tient aux antipodes du lexique religieux, comme l'expression "For Fuck's Sake", qui sonne à l'évidence comme "God's sake" ainsi que le mot "Christ" qu'elle utilise à tort et à travers.  Son principal rival est un prêtre catholique nommé Peter. Father Peter est jeune et les filles sont rapidement séduite par son physique avantageux qu'il ne cesse d'exacerber. Cet être prétendument éthéré, désincarné, idéalisé, se fondant à l'image de Father Ted, un jeune prêtre désinvolte dans la sitcom britannico-irlandaise éponyme diffusée dans les années quatre-vingt-dix, est une personnification satirique des scandales sexuels qui ont ébranlé l'église catholique dans les années quatre-vingt. 


Est-ce la religion catholique la véritable cible des railleries, ses normes traditionnelles desquelles les adolescentes se libèrent, oubliant la division sectaire le temps d'une nuit pour admirer le groupe de pop anglais Take That, ou la religion protestante, elle aussi raillée à travers des stéréotypes et des clichés de tout genre ? Un peu des deux, sans doute, tant la série de Lisa McGee se fonde sur la question du sens, où plutôt de ce qu'il en reste, d'un conflit dont l'origine est incertaine : politique, religieuse, culturelle ? Établissant un lien fort entre la musique, la politique et la religion, et acceptant ainsi que la culture de la jeunesse nord-irlandaise peut valoir les faits les plus factieux et les plus émeutiers, Derry Girls s'inscrit dans une continuité d'œuvres dévouées à faire valoir l'Accord du Vendredi Saint et la paix dans le pays. 


Dans un pays comme l'Irlande du Nord, en particulier dans un conflit qui cherchait à confiner les espaces où les corps évoluaient, les jeunes femmes de Derry Girls s'ouvrent à la possibilité d'une alliance culturelle avec la population protestante. Historiquement, les concerts et les boîtes de nuit ont été des lieux dans lesquels la jeunesse catholique et protestante se rassemblait pour danser ensemble. Un travail remarquable d'ailleurs à ce sujet est celui de Tim. Héron, qui a montré l'importance de la scène punk dans la réconciliation des deux communautés pendant les "Troubles". Derry Girls rend compte des deux mondes qui cohabitèrent pendant les "Troubles" : celui de la violence, et celui de l'insouciance, de la liberté de la jeunesse nord-irlandaise. En effet, tandis que les adolescentes dansent sur la scène du lycée, au même moment les parents sont stupéfiés devant la télévision face à l'horreur d'une nouvelle bombe qui a fait un total de treize morts et plusieurs blessés. Toutefois, cette rare présence de la violence dans le récit sert un autre but, les bombes, au lieu de tout faire exploser sur leur passage, se faisant symbole d'une violence mise en sourdine à l'arrière-plan de la télévision. Le montage alterne entre des allers-retours vers le lycée et les adolescentes, avec la musique et le ralenti qui donnent l'impression que le conflit n'existe plus, et les parents, annihilés par la nouvelle d'un énième attentat meurtrier. 


De son style satirique et rempli d'humour, la série de Lisa McGee signe une analyse novatrice du rapport de la jeunesse au conflit nord-irlandais, offrant au spectateur une reconstruction des "Troubles" tels qu'ils ont parfois existé pour les jeunes irlandais. Un scénario pédagogue, invitant les communautés d'Irlande du Nord à poursuivre les réconciliations et maintenir l'harmonie vers un processus de paix durable. 




DERRY GIRLS BY LISA MCGEE.

 

 

 

Written by Josephine B. Simone P. Heaney.

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